Découvrez le monde de la philanthropie générationnelle avec la famille Arrell. Dans le cadre de notre série Burgundy sur la philanthropie familiale, notre collègue Angela Bhutani s’entretient avec Tony Arrell, président et cofondateur de Burgundy, son épouse Anne, et leur fille, Laura, pour discuter de l’approche charitable de leur famille.
Ils partagent leurs racines philanthropiques, comment ils ont créé et gèrent la Fondation de la famille Arrell, les défis de la collaboration familiale et comment choisir ensemble les causes qui leur tiennent à cœur.
Cet entretien explique comment, selon eux, les priorités familiales et les priorités personnelles en matière de dons peuvent coexister, comment personnaliser une approche participative et la prise de décisions et pourquoi l’apprentissage continu est une clé de la philanthropie familiale réussie.
Angela Bhutani : Tony et Anne, comment votre engagement philanthropique a-t-il vu le jour? Qu’est-ce qui vous a poussé à établir votre fondation familiale et quels bénéfices ce processus a-t-il procurés à votre famille?
Tony Arrell : Grandir dans une famille modeste m’a rapidement exposé à la dure réalité de la société. Mon père a travaillé dans le système judiciaire juvénile, ce qui m’a rendu témoin des tensions émotionnelles liées aux cas de garde d’enfants. Ma mère, devenue travailleuse sociale, m’a incité à sympathiser avec des gens que la vie n’avait pas gâtés. Mes parents étaient toujours prêts à aider la communauté et je crois avoir hérité de cette volonté à épauler les autres. J’ai toujours cru que les personnes prospères devraient tenter d’améliorer la société d’une façon ou d’une autre. Anne peut parler pour elle-même, mais j’estime qu’elle a été élevée avec ces valeurs et cette idée d’aider son prochain.
“J’ai toujours cru que les personnes prospères devraient tenter d’améliorer la société d’une façon ou d’une autre.”
Anne Arrell : J’ai également grandi dans une famille généreuse, bien que beaucoup plus modeste que celle de Tony. Nous étions six à Elmira, en Ontario. Mon père est décédé quand j’avais 14 ans et j’avais plusieurs jeunes frères et sœurs, mais ma mère était extrêmement généreuse. Ces origines ont grandement influencé mes décisions ultérieures. Lorsque le moment est venu d’établir une fondation, Tony et moi avons su circonscrire les domaines où nous voulions orienter nos dons. Nous avons pris les décisions au début, mais avons ensuite envisagé la planification de la relève et la participation de nos enfants. Qu’adviendrait-il si nous étions victimes d’un accident de la route? Que voudrions-nous que l’on fasse de notre argent? Nous avons beaucoup appris en parlant avec nos enfants, surtout lorsque nous avons discuté des valeurs que nous partageons, car leurs valeurs et leurs priorités peuvent différer des nôtres. Ces discussions et la Fondation de la famille nous ont tous aidés à travailler ensemble pour le bien commun.
Angela Bhutani : Comment avez-vous renforcé les liens familiaux à travers la philanthropie ? C’est une étape cruciale pour déterminer les priorités et la direction de vos dons, et vous avez choisi de faire participer vos enfants. Avez-vous mené ce processus vous-même ou avez-vous fait appel à des experts externes ?
Anne Arrell : Tony et moi avons d’abord pris nos propres décisions, mais après avoir décidé d’impliquer nos enfants, nous avons embauché un conseiller qui a aidé la famille à s’entendre sur ses valeurs globales. Il était clair que certaines choses qui nous intéressaient laissaient nos enfants indifférents. Par exemple, Tony et moi avons été élevés en valorisant la religion, qui n’est pas aussi importante pour nos enfants. Il en va de même pour les arts. Tony et moi aimons les arts, en particulier l’opéra et le ballet. Cela ne veut pas dire que Laura et sa famille n’apprécient pas les arts, mais elles privilégient d’autres dons de bienfaisance. Ainsi, le fait de parler de nos valeurs nous a aidés à établir la mission de la Fondation, qui est essentielle à l’élaboration d’un mandat et aux décisions quant aux bénéficiaires de ces dons. La Fondation se concentre principalement sur les questions liées à l’éducation et à la santé : le mandat est vaste, mais il contribue quand même à circonscrire les demandes. Nous donnons à des causes qui nous intéressent personnellement à l’extérieur de la Fondation, mais notre famille met l’accent sur la santé et l’éducation.
Angela Bhutani : Laura, pouvez-vous nous dire comment vous vous êtes préparée pour votre poste de directrice générale de la Fondation?
Laura Arrell : La perspective de retourner au travail après la naissance de mon troisième enfant m’a pratiquement fait pleurer. Même si j’aimais mon travail, j’avais 40 ans et je croyais qu’il était temps de tourner la page. En même temps, la Fondation de la famille prenait de l’expansion. Elle avait atteint le point où, pour avoir un impact, elle devait faire l’objet d’une surveillance stratégique renforcée. Heureusement, mes parents ont cru en moi, et ils étaient heureux que quelqu’un veuille assumer cette responsabilité. J’avais passé ma carrière dans le secteur des placements. Toutefois, lorsque j’ai changé de trajectoire en vue de travailler pour la Fondation, j’ai été la première à admettre que j’ignorais dans quoi je me lançais. Je savais analyser le bilan d’une société ouverte, mais je ne l’avais jamais fait pour une organisation non gouvernementale (ONG). Parce que c’est dans ma nature, j’ai commencé à poser des questions et à réseauter. J’ai rapidement découvert la grande diversité de cours et de formations offerts.
La Rotman School of Management de l’Université de Toronto offre un cours sur la gestion du patrimoine familial à l’intention des cadres. On peut en trouver un autre à la Booth School of Business de l’Université de Chicago. Je les ai suivis tous les deux. Il s’agit de cours d’une semaine qui ne sont pas trop exigeants. Je les recommanderais et vous suggérerais de les suivre avec un autre membre de la famille pour partager ces connaissances de base. J’appartiens également à un réseau international fantastique de philanthropes hautement stratégiques appelé The Philanthropy Workshop. L’adhésion annuelle continue comporte également un volet de formations intensives. Dans le cadre d’un programme de trois semaines, j’ai élaboré une thèse et une mission, puis je les ai présentées à mes pairs à la fin. L’adhésion à cette organisation m’a donné accès un réseau incroyable. Si vous voulez en savoir plus sur le gouvernement et sur la façon de composer efficacement avec les changements de politique, vous pouvez également vous inscrire à une école de politique publique.
Angela Bhutani : Lorsque vous voulez collaborer avec un organisme ou l’appuyer, quelles qualités ou caractéristiques recherchez-vous?
Tony Arrell : Je crois que c’est un sujet très vaste. Je pense que cela revient à dire : dans quoi investissez-vous? Burgundy suit un processus de recherche rigoureux avant d’investir dans une entreprise. C’est ce que nous appelons la diligence raisonnable. Nous accordons une attention particulière aux personnes qui gèrent l’entreprise : quel a été le rendement du chef de la direction ou du conseil? Aimerions-nous faire affaire avec ces personnes? C’est la même chose pour les organismes à but non lucratif. En fait, c’est encore plus important dans le monde des OBNL.
Dans le monde des organisations à but lucratif, si une entreprise n’est pas bonne et que la direction n’est pas bonne, elle disparaît après quelques années et les dirigeants sont congédiés si les résultats sont médiocres. Si l’entreprise est cotée en bourse, le cours de l’action baisse. Toutefois, dans le monde des organismes à but non lucratif, ce n’est pas toujours le cas. Les gens peuvent se débrouiller dans le monde des OBNL et survivre parce qu’ils peuvent être soutenus par le gouvernement, avoir un grand nombre de donateurs, etc. Je dirais que dans le monde des OBNL, nous essayons de mettre à profit certaines de ces idées lorsque nous faisons des dons. Nous avons fait beaucoup d’erreurs, mais je crois que certaines des choses les plus réussies que nous avons faites l’ont été parce que les organismes avaient une très bonne mission et que nous avons apprécié les dirigeants et parfois les administrateurs.
Angela Bhutani : La reddition de comptes est-elle également un enjeu?
Tony Arrell : Sans aucun doute. Nous voulons des rapports de qualité. Nous examinons toujours les états financiers des organismes.
Laura Arrell : Le bilan est essentiel à notre analyse. Par ailleurs, pour bon nombre des projets que nous avons réalisés, nous avons insisté sur la constitution d’un comité consultatif. L’Institut alimentaire Arrell en est un excellent exemple. Nous insistons pour siéger au comité ou réserver quelques sièges pour les personnes que nous nommons, qui peuvent choisir de les accepter ou non. Cela a été utile, car nous nous sentons maintenant impliqués et avons une voix pour nous exprimer si nous sommes insatisfaits de quelque chose.
Angela Bhutani : Pourriez-vous nous en dire plus sur le comité consultatif? Est-il principalement composé d’experts dans un domaine?
Laura Arrell : Les comités dont je parle sont les organismes eux-mêmes, mais nous avons maintenant notre propre comité consultatif pour la Fondation de la famille, composé de quatre personnes, dont l’ancien président de l’Université de Guelph. De nombreuses personnes, étroitement impliquées dans les domaines visés par nos dons, peuvent aussi formuler des critiques constructives et faire partie de ces réseaux. Selon la stratégie adoptée, je crois que le réseautage dans le monde philanthropique est extrêmement important. Nous avons également trouvé très utile le regroupement avec des coalitions issues d’un peu partout au pays dans les domaines visés par nos dons.
“De nombreuses personnes, étroitement impliquées dans les domaines visés par nos dons, peuvent aussi formuler des critiques constructives et faire partie de ces réseaux. Selon la stratégie adoptée, je crois que le réseautage dans le monde philanthropique est extrêmement important.”
Q : Comment gérez-vous le décalage entre les perspectives des parents et de la jeune génération dans une famille multigénérationnelle lorsque vous tentez tous les deux d’accomplir quelque chose?
Tony Arrell : Vous faites des compromis, comme c’est le cas pour tout dans la vie. Laura s’intéresse à certaines choses qui ne me passionnent guère. Nous essayons d’en arriver à une entente. Nous avons également quelques règles de base. Chacune de nos trois filles peut contribuer dans une certaine mesure à des causes qui sont importantes pour elles. Par conséquent, il y a de la place pour des différences. Honnêtement, je pense que le désaccord est sain.
Laura Arrell : Je suis d’accord. Heureusement, nous nous entendons bien. Je pense que le fait de compter sur un apport extérieur a été efficace. Nous faisons appel à un modérateur, mais il a été plutôt un facilitateur, ce qui a vraiment contribué à « professionnaliser » la conversation. Lorsqu’il y a de la famille à la table, la dynamique familiale s’enclenche inévitablement. Je crois que nous avons profité de ce comité consultatif et de la présence de professionnels ayant des points de vue diversifiés.
Angela Bhutani : Anne, deux de vos filles vivent aux États-Unis. Comment faites-vous pour faire avancer les choses, rassembler tout le monde et prendre des décisions?
Anne Arrell : Des outils des visioconférences ont complètement transformé nos vies et font maintenant partie de notre routine. Si vous croyez que tous les membres de votre famille apporteront une contribution égale, sachez que ce n’est pas le cas en pratique. Nous avons vu de nombreuses organisations familiales comptant des membres moins engagés, mais il est essentiel qu’ils aient l’impression de faire partie du processus décisionnel. Nous avons deux filles qui vivent aux États-Unis et qui ne participent pas à toutes les réunions et décisions. En établissant un comité de direction composé de nous trois (Tony, Laura et moi), nous pouvons faire avancer les décisions clés. Nous nous rencontrons une fois par mois pour discuter des activités de Laura.
En plus de nos réunions mensuelles, nous tenons également une réunion formelle semestrielle.
“Si vous croyez que tous les membres de votre famille apporteront une contribution égale, sachez que ce n’est pas le cas en pratique (…), mais il est essentiel qu’ils aient l’impression de faire partie du processus décisionnel.”
Q : Espérons que trois générations y participeront à un moment donné. Laura, allez-vous faire les choses de la même façon ou différemment avec vos propres enfants, et quand pensez-vous commencer?
Laura Arrell : Nous n’en avons pas beaucoup parlé. Mon mari Eric et moi espérons que nos enfants adopteront la philosophie de redonner par osmose, et nous en voyons déjà des signes. L’aîné n’a que 15 ans, alors je ne crois pas que nous y soyons encore. Mais j’espère que d’ici à ce qu’ils atteignent la majorité, nous aurons un processus plus formel pour intégrer cette prochaine génération. De nombreuses fondations participent avec mesure à ce processus. Je pense que nous sommes sur le point de leur permettre d’assister aux réunions du conseil, mais pas encore d’y voter. Dans notre cas, je crois qu’il est trop tôt, mais j’espère que les enfants participeront activement.
Notre famille a aussi discuté du fait que la participation n’est pas un droit. Il faut mériter ce droit. Je pense qu’il faut le démontrer aux membres de la famille. À mon avis, on aiderait la prochaine génération en lui permettant de faire de petits dons. On peut aussi demander à ses membres de rédiger une thèse expliquant pourquoi ils veulent soutenir une organisation et comment ils ont l’intention de participer activement. Selon ce que j’ai entendu d’autres organisations, il s’agit d’un outil efficace.
Tony Arrell : Ce qu’on veut vraiment, c’est que les jeunes grandissent avec les bonnes valeurs. Si vous avez les bonnes valeurs, le reste est insignifiant. Les gens prospères ne veulent pas élever une génération d’enfants qui estiment avoir tous les droits. Nous avons consacré beaucoup de temps à planifier, à tenir des réunions à notre Fondation avec nos autres enfants et à leur demander quelles sont leurs valeurs. C’est un sujet immatériel. Je crois que les entreprises devraient mieux exprimer leurs valeurs. Les énoncés de mission sont courants dans les entreprises. En revanche, les familles n’ont pas ce luxe. Mais je crois que nous avons progressé dans ce sens. J’espère que mes petits-enfants auront de bonnes idées humanitaires qui contribueront à faire du monde un endroit meilleur.
Laura Arrell : Dans le même ordre d’idées, mes sœurs et moi avons demandé à nos parents de rédiger une déclaration de valeurs à transmettre à la future famille. Nous avons également rédigé la nôtre. Le fait de coucher par écrit ce que nous espérons réaliser l’empêche de disparaître à l’avenir.
Angela Bhutani : Apprendre à mieux vous connaître et comprendre ce que vous avez fait en coulisses a été extrêmement gratifiant. Bon nombre des facteurs de réussite qui s’appliquent aux entreprises s’appliquent aussi à la gestion d’une fondation. C’est-à-dire commencer par une discussion sur les valeurs, permettre à tout le monde d’avoir une place à la table, encourager l’engagement et, enfin, envisager la planification de la relève. J’espère que votre expérience pourra être utile à d’autres familles. Merci.
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