Dans le premier chapitre de son livre, A Zebra in Lion Country, Ralph Wanger, investisseur de renom, écrivain très talentueux et gestionnaire célèbre du fonds Acorn, compare l’expérience d’un gestionnaire de portefeuille à celle d’un zèbre :

Les zèbres et les gestionnaires de portefeuille institutionnels comme moi ont les mêmes problèmes.

D’abord, les deux ont des objectifs bien spécifiques, souvent difficiles à atteindre : les gestionnaires de portefeuille s’intéressent aux rendements supérieurs à la moyenne, tandis que les zèbres sont friands d’herbe fraîche.

Deuxièmement, ils partagent la même aversion pour le risque : les gestionnaires de portefeuille courent le risque de se faire congédier et les zèbres celui de se faire manger par les lions.

Finalement, tous deux se déplacent en troupeau : ils se ressemblent, pensent de la même façon et restent groupés. Pour le zèbre qui vit en troupeau, la principale décision à prendre concerne sa position souhaitée par rapport au troupeau. Lorsqu’il estime être en sécurité, il est préférable pour lui de se tenir à l’écart du troupeau afin de profiter de l’herbe fraîche, car les zèbres demeurant au milieu n’ont accès qu’à de l’herbe à moitié broutée ou piétinée. Les zèbres audacieux, qui sortent du troupeau, se nourrissent beaucoup mieux.

Cela dit, vient un temps où les lions approchent. Les zèbres à l’écart deviennent un repas, alors que les zèbres plus chétifs, ayant moins bien mangé au milieu du troupeau, sont toujours en vie.

Le gestionnaire de portefeuille institutionnel qui s’occupe, par exemple, des services fiduciaires d’une banque, d’une compagnie d’assurance ou de fonds mutuels, ne peut se permettre d’être un zèbre audacieux. Pour lui, la stratégie optimale est simple : rester au milieu du troupeau en tout temps. Tant qu’il continuera d’acheter les titres populaires, rien ne pourra lui être reproché. En revanche, il ne peut pas acheter des titres moins connus dans l’espoir d’obtenir des gains substantiels, car il s’exposerait aux critiques en cas d’échec.

Il va sans dire, cette philosophie du zèbre se tenant à l’intérieur du troupeau nous déplaît en tant qu’investisseurs orientés sur le long terme. Nous avons tous essayé d’être des zèbres qui sortent du troupeau la plupart du temps, et nous en demeurons marqués de nombreux coups de griffes.1

L’INVESTISSEUR AXÉ SUR LA VALEUR : UN ZÈBRE AUDACIEUX

Nous croyons que l’analogie de Ralph Wanger véhicule un message important pour les investisseurs axés sur la valeur. Les véritables investisseurs axés sur la valeur achètent un titre uniquement lorsque son prix est trop bas et le vendent lorsque le cours du marché est trop élevé par rapport à la valeur intrinsèque réelle de l’entreprise. Bien que de nombreux professionnels s’associent au placement axé sur la valeur, très peu d’entre eux réussissent à bien appliquer ce style d’investissement, car comme pour le zèbre qui se tient à l’écart du troupeau, l’investisseur axé sur la valeur se trouve généralement dans une position inconfortable. Il doit avoir la volonté de faire ce qui est impopulaire et la discipline de s’en tenir à sa décision, alors que la plupart des investisseurs se déplacent dans une autre direction.

Burgundy se concentre exclusivement sur les placements axés sur la valeur et y parvenir avec succès constitue, à notre avis, notre plus grande force.

VALEUR DES ACTIONS CANADIENNES

L’année 1993 commence en grand, puisque le Burgundy Canadian Equity Fund a dégagé un rendement de 19,9 % comparativement à 8,3 % pour l’indice TSE 300. S’il est vrai qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, il est néanmoins agréable d’avoir quelques longueurs d’avance en début de parcours. Ce résultat prolonge la durée de surperformance relative qu’a réalisée le gestionnaire du fonds John Di Tomasso depuis 1981.

Notre attention se concentre sur l’achat et la vente de placements spécifiques tout en restant fidèles à notre approche de placement « ascendante » axée sur la valeur. Elle est particulièrement pertinente pour les placements en actions. Ainsi, nous sommes complètement à l’opposé de l’approche « descendante », qui tente d’évaluer la situation générale et de tenir compte de ses répercussions (y compris des facteurs macroéconomiques mondiaux comme les taux d’intérêt, les devises, etc.). Avec une approche descendante, la vue d’ensemble est ensuite ramenée à l’échelle de l’économie canadienne et de ses divers groupes sectoriels, et les titres sont finalement évalués en fonction des éléments propres à ce contexte élargi.

« … comme pour le zèbre qui se tient à l’écart du troupeau, l’investisseur axé sur la valeur se trouve généralement dans une position inconfortable. »

La méthode descendante est très exhaustive; peut-être trop en fait. Il y a tout simplement plus d’informations (qui changent d’ailleurs d’une minute à l’autre) que ce qu’une personne ou un groupe de personne est en mesure de traiter et d’utiliser pour prendre des décisions de placement gagnantes. Une telle approche, qui demande de repérer des millions de facteurs, d’en comprendre les particularités et de bien connaître leur rôle dans un contexte dynamique, exige le déploiement d’efforts colossaux et une capacité surhumaine.

Burgundy reconnaît que des éléments cruciaux comme la croissance du PNB, les taux d’intérêt futurs et la politique monétaire des banques centrales ont une grande incidence sur les marchés. Et il n’est évidemment pas déplaisant de jouer à l’économiste de salon en sirotant un cognac ou deux, mais l’obtention d’un consensus ou même d’une conclusion convaincante demeure difficile. Selon notre expérience, il résulte de tous ces efforts des prévisions économiques qui n’ont que peu de valeur lorsque vient le temps de prédire ce qui compte réellement : le rendement des placements.

« Et il n’est évidemment pas déplaisant de jouer à l’économiste de salon en sirotant un cognac ou deux, mais l’obtention d’un consensus ou même d’une conclusion convaincante demeure difficile. »

Ainsi, nous avons conclu qu’il est préférable de concentrer nos efforts sur l’évaluation de chacune des entreprises en accordant une attention particulière à la valeur intrinsèque, puis en comparant cette dernière aux cours du marché.

Cela dit, malgré nos réserves en matière d’analyse macroéconomique, nous sommes généralement d’avis que l’économie est actuellement sur la voie d’une lente reprise. Le Canada a connu trois années peu reluisantes, mais nous croyons que certains facteurs s’améliorent à l’heure actuelle. Il faut garder à l’esprit que le Canada est, fondamentalement, un pays très riche. Depuis plusieurs années, on constate d’importantes restructurations d’entreprises, l’arrêt d’activités d’exploitation inefficaces, l’augmentation de la productivité et le souci (enfin!) de la concurrence à l’échelle internationale. Si franchir ces étapes est parfois difficile, il en résulte des bases solides qui feront un jour du Canada un pays plus prospère.

Plus important encore, soulignons que le cours de certains titres de bonnes entreprises est très raisonnable comparativement à l’estimation de leur valeur intrinsèque établie par Burgundy. On retrouve de telles aubaines dans diverses industries, mais nous estimons qu’elles sont plus présentes dans les secteurs industriels (St. Lawrence Cement, Dofasco) et des services financiers (Banque TD, Banque Nationale Trust). Les occasions à saisir sont moins nombreuses qu’il y a un an, car le marché boursier a progressivement grimpé, la hausse moyenne étant de 9 %.

Évidemment, un titre devrait être vendu lorsqu’il atteint sa juste valeur. Cependant, il arrive parfois qu’un titre en particulier (pour diverses raisons) gagne subitement en popularité et prenne de l’élan, ou qu’un secteur retienne l’attention (et la faveur) des analystes des maisons de courtage. Le cas échéant, même si le cours cible est atteint, certains pourraient être tentés de conserver le titre ou de n’en vendre qu’une partie pour profiter de sa hausse sur le marché. Précisons d’emblée que ce n’est pas notre façon de faire, puisqu’elle suppose que le titre surévalué continuera de s’apprécier, soit la théorie du plus idiot. Il est vrai que les cours fluctuent et entraînent des sous-évaluations ainsi que des surévaluations, mais il faut garder à l’esprit qu’en détenant un titre surévalué, la prise de risque est supérieure à la possibilité de gain.

Même si nous sommes encore en mesure de trouver des occasions canadiennes pour maintenir une bonne diversification de nos portefeuilles, elles se font de plus en plus rares. Nous pourrions donc miser sur des réserves de trésorerie tandis que nous procéderons à des ventes ciblées.

PEU DE VALEUR AUX É.-U.

Il est difficile de trouver des aubaines aux États-Unis, car les titres y sont globalement évalués à des niveaux grandement supérieurs à ceux du Canada. Nous avons néanmoins ajouté à notre portefeuille quelques titres américains dont la valeur nous semble excellente.

Nous avons notamment ajouté le titre de Loews Corp. (98 $ à la NYSE, suite à sa chute abrupte). Nous croyons que Loews est un excellent exemple d’entreprise solide qui est largement sous-évaluée. En voici les principales raisons :

  • Loews est dirigée par Larry Tisch, un investisseur et homme d’affaires chevronné. Tisch est sans contredit l’un des plus grands investisseurs de notre époque et il s’agit d’une personne que j’admire depuis bon nombre d’années. Dans son livre Les Nouveaux maîtres de l’argent, John Train consacre un chapitre entier à M. Tisch, lequel assure la gestion de Loews à l’aide de plusieurs proches, y compris son fils Jim. Les initiés détiennent 26 % des parts.
  • Au cours des 10 dernières années, la valeur comptable de l’action est passée de 16,92 $ en 1982 à 84,10 $ en 1992, ce qui, dividendes inclus, signifie que les actionnaires ont obtenu un rendement de 20,7 % par année au courant de cette décennie.
  • Les activités de Loews sont réparties entre l’assurance (détient des parts dans CNA Insurance), le tabac (Lorillard), les hôtels Loews, les montres Bulova Watches et CBS Television. Par l’intermédiaire de CNA, Loews détient un très vaste portefeuille de titres ainsi qu’un important portefeuille d’entreprises.
  • L’entreprise a un profil financier impeccable et son rendement des capitaux propres sur 10 ans avoisine les 15 %. Qui plus est, Loews se démarque encore plus lorsqu’il est question d’accroître la valeur pour les actionnaires puisqu’elle rachète constamment ses propres titres, et ce, depuis plusieurs années. Il s’agit assurément d’une entreprise douée pour affecter judicieusement ses capitaux, puisqu’elle utilise ses flux de trésorerie excédentaires pour racheter ses propres titres sous-évalués, ce qui crée de la valeur d’une façon fiscalement avantageuse pour ses actionnaires.
  • La perte enregistrée en 1992 découle de l’établissement d’un fonds de réserve de 1,5 milliard de dollars à CNA en vue des poursuites liées à l’amiante.
  • Le cours de l’action se situe actuellement à 98 $. Si l’on ajuste sa valeur comptable au marché pour tenir compte des actions de CNA (il s’agit d’une société ouverte distincte) et que l’on évalue Lorillard à dix fois le bénéfice avant impôt, le titre de Loews vaut 195 $ par action, soit deux fois plus que le cours actuel.
  • Le cours actuel de 98 $ est comparable aux estimations des analystes de 11 $ par action pour un ratio cours-bénéfice de 8,9 fois.

 


1. Traduction libre de A Zebra in Lion Country by Ralph Wanger. New York: First Touchstone Edition, Simon & Schuster, 1999.

Cette Perspective a été mise à jour en mars 2021.

 

Ce numéro de La Perspective de Burgundy est présenté à titre illustratif et aux fins de discussion seulement. Il ne constitue pas des conseils de placement ni ne tient compte des objectifs, des contraintes et des besoins financiers qui vous sont propres. Ce numéro de La Perspective de Burgundy ne vise aucunement à vous inciter à synchroniser le marché d’une façon ou d’une autre ni à prendre des décisions de placement fondées sur son contenu. Certains titres peuvent être utilisés comme exemples pour illustrer la philosophie de placement de Burgundy. Les portefeuilles Burgundy peuvent détenir ou non ces titres pendant toute la période indiquée dans les exemples. Les investisseurs doivent noter que leurs placements ne sont pas garantis, que leurs valeurs fluctuent fréquemment et que les rendements passés peuvent ne pas se reproduire. La Perspective de Burgundy ne constitue pas une offre de placement selon l’une ou l’autre des stratégies d’investissement présentées par Burgundy. Les renseignements contenus dans ce numéro représentent l’opinion de Gestion d’actifs Burgundy Ltée ou de ses employés à la date de publication et peuvent changer sans préavis. Veuillez consulter la section Mention juridique du site Web de Burgundy pour obtenir de plus amples renseignements.