La philosophie semble être un sujet à la mode ces jours-ci. En 2013, Burgundy publiait une Perspective intitulée : « Le stoïcisme et l’art d’intervenir dans les portefeuilles ». Plusieurs entrepreneurs comme Peter Thiel (cofondateur de PayPal) ou Reid Hoffman (cofondateur de LinkedIn) brandissent fièrement un diplôme de philosophie. Charlie Munger, associé de Warren Buffett, aime s’adonner à ces réflexions existentielles, citant fréquemment des philosophes stoïciens. Bien sûr, cette curiosité ne se limite pas aux magnats et aux gens de la finance. Le grand public est également attiré par le domaine philosophique, comme en témoigne le succès de livres tels que The Daily Stoic: 366 Meditations on Wisdom, Perseverance, and the Art of Living (Le Stoïcien quotidien : 366 méditations sur la sagesse, la persévérance et l’art de vivre), parvenu à la liste des meilleurs vendeurs du Wall Street Journal à la fin de l’année 2016.

Inspirés par cette interprétation du stoïcisme, nous avons voulu proposer notre propre version des exercices de réflexion du Daily Stoic, appliqués à la finance personnelle.

Pratiquez la malchance

« La premeditatio malorum (la préméditation des maux) est un exercice stoïque consistant à imaginer des choses qui pourraient mal tourner ou nous être enlevées. (…) Sénèque, qui jouissait d’une grande richesse en tant que conseiller de Nero, suggéra que nous devions mettre de côté un certain nombre de jours chaque mois pour pratiquer la pauvreté. Prenez un peu de nourriture, portez vos pires vêtements, éloignez-vous du confort de votre maison et de votre lit. Mettez-vous face au besoin, dit-il, et vous vous demanderez, qu’est-ce que j’avais l’habitude de redouter? »1

La malchance en investissement est inévitable. Les marchés peuvent être volatils, soumis aux conditions économiques et politiques. Les entreprises font face à des forces concurrentielles et à des innovations perturbatrices. Ces facteurs sont de plus influencés par les caprices et l’humeur collective des investisseurs.

Craignez-vous cette volatilité? Alors, pourquoi ne pas soumettre votre portefeuille au premeditatio malorum. Si votre portefeuille perd 15 % ou même 25 % de sa valeur, votre budget mensuel en sera-t-il affecté? Si oui, ces concessions sont-elles inconfortables, ou désastreuses? Devrez-vous renoncer à des objectifs importants pour vous, ou simplement à votre troisième voiture sport?

Si l’impact d’une baisse importante est inacceptable, ou que vous ne connaissez pas la réponse à ces questions, parlez-en avec votre conseiller. Quoique la volatilité soit souvent passagère, une des prescriptions pour l’anxiété boursière est de protéger une partie de vos besoins de liquidités contre les sautes d’humeur de « Monsieur Marché ».

Si une baisse n’a aucun impact significatif, alors vous n’avez pas lieu de vous angoisser, et encore moins de tenter d’anticiper les mouvements du marché.

Renverser les obstacles

« Les stoïciens pratiquaient un exercice appelé Renverser l’obstacle. Ce qu’ils voulaient faire était de rendre impossible de ne pas pratiquer l’art de la philosophie. Parce que si vous parvenez à inverser un problème, tout ce qui est « mauvais » devient une nouvelle source de bien. »2

Ce qui pourrait être perçu comme négatif, un marché boursier baissier ou une récession économique, peut en fait être une belle occasion. Pour une entreprise aux reins solides, une récession peut être un moment opportun pour acquérir des actifs stratégiques, embaucher des employés, attaquer un nouveau marché alors que ses concurrents sont en mode défensif. Pensons entre autres à la banque canadienne TD, maintenant devenue la 8e plus importante banque aux États-Unis. De 2005 à 2010, période qui inclut la crise financière de 2007-2009, la banque a dépensé plus de 17 milliards de dollars en acquisitions afin de se tailler une place de choix dans le marché, alors que ses compétiteurs étaient affaiblis.

Le Baron Rothschild disait : « Quand il y a du sang dans les rues, c’est le temps d’acheter. » Pour l’investisseur axé sur le long terme, la volatilité donne l’occasion d’accroître son rendement futur potentiel en achetant des actions d’entreprises de qualité à faible coût.

Suivre son propre chemin

« Dans l’essai de Sénèque sur la tranquillité, il utilise le mot grec euthymia, qu’il définit comme “croire en soi, croire que vous êtes sur la bonne voie, et ne pas douter en suivant les innombrables sentiers de ceux qui errent dans tous les sens.” ».3

En investissement, il est tentant de se laisser contrôler par la crainte du regret. Comme le dit si bien l’historien Charles Kindleberger, auteur de l’Histoire mondiale de la spéculation financière, « il n’y a rien de plus dérangeant pour son bien-être et pour son jugement que de voir un ami devenir riche ».

Or, la popularité d’une entreprise en bourse peut être aussi éphémère que les tendances de mode capillaire. La plupart des investisseurs ne font pas de recherche approfondie lorsqu’ils achètent une entreprise ou un fonds. Ils ne font que suivre la meute, sans trop comprendre pourquoi. Ce phénomène est rationalisé par la Théorie de l’idiot. Selon cette théorie, le prix d’un actif (immeuble, oeuvre d’art, vin, actions) peut toujours être justifié si l’on croit qu’il existe un idiot prêt à payer plus cher pour ce bien. Cependant, à tout moment, comme à la chaise musicale, la musique s’arrête et c’est le dernier qui perd. Ne soyez pas l’idiot. Suivez votre propre chemin.

Payez vos impôts

« Rien ne m’arrivera jamais que je reçoive avec tristesse ou mauvaise humeur. Je vais payer mes impôts avec plaisir. Maintenant, toutes les choses qui causent la plainte ou l’effroi sont comme les impôts de la vie des choses desquelles, mon cher Lucilius, vous ne devriez jamais espérer d’exemption ou chercher à échapper. »4

Plusieurs dispositions sont prévues à même notre système d’imposition pour déduire ou reporter la facture fiscale et accroître le rendement après impôt, de façon tout à fait légitime. Par exemple, pour les comptes imposables, il est souvent préférable d’éviter les stratégies de placement ayant un taux de roulement élevé, qui déclenchent des gains en capital. Il pourrait aussi être avantageux d’adapter la répartition d’actifs dans votre portefeuille en fonction du type de compte (compte personnel imposable, compte d’une société de gestion, REER, CELI).

Cependant, l’impôt n’est qu’une des considérations pour déterminer si un placement est approprié pour votre portefeuille. Il ne faut pas laisser l’arbre cacher la forêt. Souvenons-nous que la facture d’impôt est la conséquence, déplaisante somme toute, d’un gain ou d’un revenu.

Voici quelques exemples de risques qui découlent d’une considération trop élevée à l’égard de l’impôt dans les décisions de placement :

  • Reporter la vente d’un placement qui est devenu trop important dans son portefeuille, ou qui est devenu largement surévalué, afin de différer l’impôt sur le gain de capital.
  • Détenir une proportion trop importante d’actions canadiennes à dividende élevé, parce qu’elles bénéficient d’un traitement fiscal favorable. On risque ainsi de laisser de côté des occasions de placement dans les entreprises d’envergure mondiale, qui utilisent leurs bénéfices pour faire croître leur valeur intrinsèque. Plutôt, vous risquez de posséder de nombreuses entreprises locales avec des occasions d’investissement limitées, des difficultés financières, ou encore qui peuvent être très sensibles à la conjoncture économique.
  • Investir dans des véhicules associés à des crédits d’impôt (actions accréditives, fonds de travailleur), sans considérer leur potentiel de rendement et le risque qui leur est associé.

En tant qu’investisseurs, nous avons de multiples objectifs : protéger et faire fructifier son capital à long terme, et générer du revenu. Ces objectifs ne doivent pas être oubliés dans une tentative d’échapper au fisc.

Misez sur la simplicité

« Ne fais que ce qui est nécessaire. » Par cette règle, un homme a le double plaisir de rendre ses actions bonnes et peu nombreuses. La plus grande partie de ce que nous disons et faisons est inutile. En s’abstenant, nous aurions à la fois plus de loisirs et moins de perturbation. Et donc, avant d’agir, il devrait se poser cette question : « Ne suis-je pas au bord de quelque chose d’inutile? »5

Le monde du placement attire des gens intelligents, qui ont la malheureuse tendance à trop compliquer les choses. Pour les novices, cette complexité impressionne, même si elle n’ajoute aucune valeur. Pour les gestionnaires de fonds, cette complexité est également attrayante, puisqu’elle justifie des frais plus élevés. D’ailleurs, une récente étude sur les produits financiers a démontré que leur complexité est positivité corrélée à leur profitabilité (pour l’émetteur), et inversement corrélée à leur rendement (pour l’investisseur).6

Imaginez qu’à l’instar des grandes universités américaines, vous détenez un portefeuille très diversifié. Vous détenez ainsi non seulement plusieurs fonds d’actions et d’obligations, mais aussi des instruments financiers complexes, que vous ne comprenez pas trop bien, mais qui vous ont été recommandés par une personne de confiance (cela pourrait être un bitcoin, ou alors un fonds négocié en bourse avec une thématique exotique). Sans trop comprendre la nature et le risque des produits que vous détenez, vous vous trouvez rassurés d’avoir un portefeuille ainsi diversifié.

Puis, de façon tout à fait inattendue, un de ces placements opaques perd 30 % de sa valeur. S’agit-il d’une occasion de placement, ou encore êtes-vous tombé sur un citron? Si vous ne comprenez pas bien ce que vous détenez en portefeuille, votre décision sera probablement motivée par une émotion plutôt qu’un jugement raisonné. L’avantage de la diversification, sur lequel vous vous étiez fondé pour justifier la complexité de votre portefeuille, s’en trouvera ainsi complètement annulé.

La simplicité facilite la prise de décision, ce qui est important en période de turbulence. Tel que l’a dit Philip Fisher : « Acheter une entreprise sans la connaître suffisamment peut être encore plus dangereux que d’avoir une diversification insuffisante. »

 


1. Holiday, Ryan. « What is Stoicism? A definition & 9 Stoic Exercises to Get You Started », Daily Stoic Blog. (traduction libre)

2. Holiday, Ryan. « What is Stoicism? A definition & 9 Stoic Exercises to Get You Started », Daily Stoic Blog. (traduction libre)

3. Holiday, Ryan and Stephen Hanselman. The Daily Stoic: 366 Meditations on Wisdom, Perseverance, and the Art of Living (New York, NY: Penguin Random House, 2016), p. 23. (traduction libre)

4. Holiday, Ryan and Stephen Hanselman. The Daily Stoic: 366 Meditations on Wisdom, Perseverance, and the Art of Living, p. 117. (traduction libre)

5. Marcus Aurelius Antonius. Meditations, traduit par Collier, Jeremy et Alice Zimmern, Pierides Press, sur hoopla, 2013), p. 706. (traduction libre)

6. Célérier, Claire et Boris Vallée. « Catering to Investors Through Security Design: Headline Rate and Complexity », The Quarterly Journal of Economics, vol. 132, no 3, 1er août 2017, p. 1469-1508

 

Cet article est uniquement présenté à des fins de discussion et d’illustration. Il ne vise pas à prodiguer des conseils de placement et ne tient pas compte des objectifs, restrictions, et besoins financiers propres à chaque investisseur. Cet article ne saurait en aucun cas suggérer que vous devriez anticiper les mouvements du marché ou prendre des décisions de placement en fonction de son contenu. Les investisseurs doivent être avisés que les placements ne sont pas garantis, leurs valeurs changent fréquemment et les rendements passés ne peuvent pas être répétés. L’information contenue dans cet article est l’opinion de Gestion d’actifs Burgundy et / ou de ses employés en date de publication et est sujette à changement sans préavis.