Dans un domaine où l’utilisation des outils de sélection est limitée et parsemée d’échecs, les fusions et acquisitions exigent une attention particulière. À l’aide d’études de cas, Irena Petkovic, analyste en placement, explique comment ses critères d’évaluation pour les fusions et acquisitions s’inscrivent dans le processus de placement de Burgundy et explique ce qui entraîne la prospérité ou l’échec d’une stratégie de consolidation.  


L’une des premières choses que j’ai apprises à l’école de gestion, c’est la tendance des acquisitions ratées. Les professeurs régalaient souvent leurs étudiants en leur présentant des mises en garde tirées de fusions et acquisitions (F&A) qui avaient mal tourné, et il semblait y avoir d’innombrables exemples de destruction de valeur.  

Lorsque j’ai commencé à travailler dans le monde des placements, j’ai été surprise de constater que non seulement les acquisitions sont courantes, mais que ces stratégies de consolidation comptent parmi les placements les plus fructueux. Plutôt que de se livrer à des opérations occasionnelles, ces sociétés comptent beaucoup sur les acquisitions pour croître. Bon nombre des placements fructueux de Burgundy ont été effectués dans des consolidateurs, notamment Alimentation Couche-Tard, Constellation Software, FirstService, SS&C Technologies et Diploma. 

Malgré ces succès, les préoccupations du milieu universitaire sont toujours justifiées. Certains des pires titres de tous les temps ont aussi été des consolidations. Valeant, Toll Holdings, U.S. Office Products et Slater & Gordon sont quelques-uns des titres qui ont subi une importante destruction de valeur. En fait, les recherches ont montré que plus des deux tiers des stratégies de consolidation n’ont pas réussi à créer de valeur1.

Qu’y a-t-il donc dans une stratégie de consolidation qui la rend si efficace ou qui la pousse à s’effriter aussi rapidement ? La réponse réside dans les aspects pratiques, mais peu prestigieux de l’achat et de l’intégration de sociétés. Les chefs de direction ressentent de la pression pour continuer à payer de plus en plus cher pour des acquisitions, les vendeurs partent en raison de désaccords au sujet de la rémunération, les systèmes informatiques ne communiquent pas entre eux et les gens ne s’entendent tout simplement pas. Ces détails fastidieux peuvent faire ou défaire une thèse de consolidation, et ils sont presque impossibles à prévoir.  

Cette vaste gamme de possibilités crée des occasions pour les gestionnaires actifs comme Burgundy. Il est impossible de filtrer les nouvelles idées pour distinguer les bonnes consolidations des mauvaises en utilisant des outils technologiques. De même, la rentabilité sous-jacente peut être difficile à estimer. Comme les revenus et les bénéfices augmentent de façon non linéaire (ce qui les rend intrinsèquement difficiles à modéliser), la croissance par acquisition est également difficile à prévoir. Investir dans un regroupement exige aussi une conviction démesurée à l’égard du principal responsable de la répartition du capital, un rôle souvent assumé par le chef de la direction des sociétés qui ont adopté ce modèle d’affaires2, et les réunions avec le chef de la direction aident énormément à comprendre sa vision, son expertise et son tempérament.  

Après avoir analysé de nombreuses F&A, Burgundy a établi des critères d’évaluation des F&A pour nous aider à distinguer les bonnes des mauvaises stratégies. Ci-dessous, vous trouverez une description de ces critères.   

« Après avoir analysé de nombreuses F&A, Burgundy a établi des critères d’évaluation des F&A pour nous aider à distinguer les bonnes des mauvaises stratégies. »

Trois titres issus de F&A détenus dans nos portefeuilles  

1 – Secteur fragmenté et peu de concurrence pour les acquisitions 

L’une des premières choses dont nous tenons compte est de savoir s’il y a suffisamment de cibles pour que la société puisse déployer des capitaux à des prix attrayants. Il y a très peu d’acquisitions si le regroupement opère dans un marché concentré. La concurrence peut aussi faire grimper les prix, ce qui réduit le rendement du capital.  

L’une des façons de réduire la concurrence pour les acquisitions est de se concentrer sur des acquisitions plus petites. Pour de nombreuses sociétés canadiennes à petite capitalisation, il peut être important d’acquérir une société qui serait considérée comme trop petite pour un fonds de placement privé. Par exemple, VitalHub se concentre exclusivement sur les cibles ayant des revenus de 1 M$ à 12 M$*, ce qui serait significatif par rapport aux 28 M$ de revenus qu’elle a générés au cours des 12 derniers mois. À l’échelle du Canada, de l’Europe, de l’Australie et du Royaume-Uni, l’équipe de direction de VitalHub a repéré plus de 400 sociétés qui pourraient faire l’objet d’acquisitions.  

Pour éviter de payer des prix élevés, Richards Packaging se concentre également sur des acquisitions plus modestes et recherche des sociétés qui génèrent des revenus de 20 à 100 millions de dollars. Contrairement à ses concurrents, qui se concentrent sur des acquisitions plus importantes qui peuvent coûter jusqu’à deux fois plus cher, se concentrer sur l’acquisition de sociétés plus petites permet à Richards non seulement de réaliser les mêmes synergies que ses concurrents, mais aussi (avec environ 50 distributeurs de cette taille dans ses marchés) d’avoir plus de cibles4. De même, Mainstreet Equity se concentre sur l’achat d’immeubles d’appartements de taille moyenne de moins de 100unités. La propriété de ces immeubles est très fragmentée parmi les exploitants de logements familiaux, les dix plus grands propriétaires d’appartements au Canada ne détenant que 12% de l’offre totale. Étant donné que les petits propriétaires sont souvent aux prises avec des contraintes de capital, il est également possible d’ajouter de la valeur au moyen de rénovations dans ce segment. Cette combinaison de propriété très fragmentée et d’actifs dans lesquels on a sous-investi permet à Mainstreet d’acheter des appartements à un prix inférieur au coût de remplacement. 

Chacune de ces sociétés exerce ses activités dans des secteurs où les acquisitions ont augmenté au fil du temps et où la concurrence pour les actifs s’est intensifiée. Toutefois, comme nous l’avons décrit plus haut, les équipes de direction de ces sociétés ont habilement déniché des créneaux afin de réduire la concurrence et demeurent disciplinées face à la hausse des valorisations autour d’elles.  

2 – Forte fidélisation de la clientèle  

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’intégration peut défaire une stratégie de consolidation par ailleurs très prometteuse. Une façon d’accroître la probabilité d’une intégration en douceur est de commencer par l’acquisition de titres dans des secteurs qui génèrent des revenus récurrents et stables. S’il est difficile pour un client de s’éloigner de la solution offerte par la société acquise, il sera moins sensible aux changements de propriétés et pourrait être plus tolérant à tout problème opérationnel. C’est le cas de VitalHub, qui cherche à acquérir des entreprises dont plus de 60 % des revenus sont des frais d’abonnement logiciel récurrents. Les cliniciens, qui forment la clientèle de VitalHub, utilisent les logiciels chaque jour, et ceux-ci leur fournissent souvent des renseignements en temps réel sur l’utilisation des lits et le flux de patients. Le remplacement de logiciels perturberait les soins aux patients et nécessiterait une nouvelle formation du personnel. Cette dynamique a permis à VitalHub de maintenir un taux de roulement inférieur à 5 %. 

De même, même si les revenus de Richards Packaging ne sont pas récurrents sur le plan contractuel, les clients subiraient des perturbations s’ils délaissaient Richards. Richards se concentre sur la distribution aux petites et moyennes entreprises (PME) qui n’ont pas une équipe d’approvisionnement complète et qui comptent sur Richards pour la gestion logistique. Cela signifie que Richards détient les stocks dans les centres de distribution près des clients et assure la livraison juste à temps. Contrairement aux gros clients qui peuvent avoir leurs propres entrepôts, les clients qui délaissent Richards risquent de ne pas avoir d’emballage et de ne pas pouvoir vendre leurs produits.  

3 – Preuves de synergies réelles  

Nous recherchons des preuves que la F&A peut ajouter de la valeur à la société acquise et que ces synergies sont non seulement reproductibles pour plusieurs acquisitions, mais aussi durables à long terme. Les synergies de coûts, où les frais d’exploitation peuvent être réduits, sont la source la plus courante et la plus fiable de synergies. Cela comprend par exemple la réduction de la main-d’œuvre acquise (on a rarement besoin de deux services de ressources humaines, de deux services TI, de deux équipes comptables, etc.), la renégociation des ententes avec les fournisseurs et la fermeture d’installations redondantes. Nous reconnaissons que ces synergies de coûts, très convoitées par les investisseurs, signifient souvent que des employés perdent leur emploi. Les réductions aveugles de l’effectif au nom des profits à court terme peuvent être insoutenables à long terme, et nous accordons une grande importance à déterminer si la direction procède à des compressions trop importantes.  

VitalHub a constamment réussi à réduire les coûts des sociétés acquises de plus de 20 % en délocalisant la recherche et le développement dans un bureau au Sri Lanka. Par conséquent, VitalHub peut faire passer le seuil de rentabilité de 20 % à 30 % de son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) à court terme.  

De même, le modèle d’acquisition de Mainstreet donne lieu à des synergies de coûts au niveau des dépenses d’investissement et des charges d’exploitation. Mainstreet peut rénover un immeuble pour 40 % à 50 % de moins que ses concurrents. Cela s’explique par le fait que Mainstreet effectue des opérations en volumes suffisamment importants pour s’approvisionner en matériaux directement, sans recourir à un distributeur, et qu’elle a établi ces relations depuis plus de 20 ans. Mainstreet est également en mesure de réduire ses frais d’exploitation en regroupant des immeubles d’appartements dans un rayon de cinq pâtés de maisons, ce qui élimine le besoin de gestionnaires résidents et de gestionnaires immobiliers dans chaque immeuble.    

Les synergies de revenus supposent que la croissance des ventes de l’entité combinée sera plus élevée que si les sociétés étaient distinctes. Cette croissance accrue des ventes peut provenir de la vente croisée, de l’accès à de nouveaux canaux de distribution ou de la reconnaissance accrue de la marque en tant que grande société. L’accent mis sur le service aux PME procure un avantage en regroupant et en simplifiant les achats, ce qui a permis à Richards Packaging de réussir ses ventes croisées à l’échelle de son réseau. VitalHub a également connu du succès dans la vente croisée de technologies acquises à des clients existants. Cela est particulièrement vrai dans le segment du flux des patients, puisque les hôpitaux préfèrent travailler avec les fournisseurs existants. 

« La manière dont une société réalise une acquisition est tout aussi importante que ce qui a été acquis. En tant qu’investisseurs au sein de l’acquéreur, nous sommes conscients que les acquisitions sont financées en fonction du bénéfice par action. »

4 – Financement stratégique

La manière dont une société réalise une acquisition est tout aussi importante que ce qui a été acquis. En tant qu’investisseurs au sein de l’acquéreur, nous sommes conscients que les acquisitions sont financées en fonction du bénéfice par action. Les meilleurs regroupements trouvent un moyen de financer des acquisitions qui ne reposent pas sur des émissions d’actions dilutives ou un endettement excessif. De même, le risque opérationnel lié à la consolidation signifie que l’endettement excessif peut amplifier le risque de baisse. Les sociétés VitalHub et Richards Packaging ont un bilan sain et ne se reposent pas sur l’endettement lorsqu’elles font des acquisitions. Le nombre total d’actions en circulation de Richards a diminué au cours de la dernière décennie, car la direction a utilisé des liquidités excédentaires pour racheter des actions.  

Mainstreet Equity a trouvé un moyen créatif de financer des acquisitions de façon non dilutive. La stratégie de financement de Mainstreet exige très peu de capitaux propres, ce qui est différent d’une FPI typique. Lorsque Mainstreet acquiert un immeuble d’habitation, la société utilise des liquidités et une marge de crédit pour l’acheter. Une fois les rénovations terminées, Mainstreet fait évaluer l’immeuble. Cette évaluation est utilisée pour contracter un prêt hypothécaire à taux réduit assuré par le gouvernement auprès de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), dont la valeur dépasse souvent le prix d’achat initial et les coûts de construction. Cela libère les liquidités initiales pour reprendre le processus avec un autre bloc, ce qui signifie qu’il n’y a pratiquement aucun capital supplémentaire requis. Cela se reflète dans la structure du capital de Mainstreet, le total des actions en circulation ayant diminué de 15 % au cours de la dernière décennie et la capacité d’autofinancement par action affichant une capitalisation composée de 17 %.  

5 – Un responsable de la répartition des capitaux doté d’une approche rigoureuse et d’une solide harmonisation  

Une thèse de placement fondée sur la répartition du capital accorde une importance démesurée aux responsables de la répartition eux-mêmes. Nous sommes à l’affût de signes d’une solide expertise en répartition du capital chez les chefs de la direction des sociétés effectuant les acquisitions, d’un plan de relève clair et des mesures incitatives qui mettent l’accent sur la croissance des bénéfices à long terme plutôt que sur la fondation d’un empire, où la croissance des revenus est le seul indicateur de rendement clé.  

La façon la plus observable de déterminer l’alignement est la participation à l’intérieur de la société, et les chefs de la direction de Richards Packaging et de Mainstreet ont des participations importantes dans leurs activités. Gerry Glynn, chef de la direction de Richards Packaging, travaille pour la société depuis 2002 et détient près de 20 % des actions en circulation. De même, le chef de la direction de Mainstreet, Bob Dhillon, détient 46 % du total des actions en circulation et continue de s’occuper lui-même de la recherche et de la vérification des acquisitions.  

Compte tenu de l’importance du chef de la direction dans la thèse globale, les F&A devraient également tenir compte de la composition du conseil d’administration. Plusieurs membres du conseil d’administration de VitalHub possèdent de l’expérience en F&A dans le secteur des soins de santé, et bon nombre d’entre eux occupent des postes importants au sein de la société. Cela donne à penser qu’il y a un fort alignement et une solide expérience. 

Bien que ces critères soient utiles, il est important de reconnaître qu’ils sont utilisés en conjonction avec notre propre processus de recherche approfondie. Dans les deux exemples suivants, nous vous démontrerons comment Burgundy applique ces cinq critères et nous vous illustrerons la vitesse à laquelle des F&A excellentes en apparence peuvent imploser. 

Études de cas  

Il ne suffit pas de reconnaître les signes d’une bonne F&A. Même avec de nombreux indicateurs positifs, un nombre trop grand de drapeaux rouges peut mener à une dégringolade. 

CAS N°1: VALEANT PHARMACEUTICALS

Valeant était une société pharmaceutique spécialisée établie au Québec. En 2008, Valeant a embauché un nouveau chef de la direction, Michael Pearson, qui a délaissé la fabrication de médicaments traditionnels au profit de la croissance par acquisition. En théorie, la stratégie de M. Pearson était logique. Selon lui, comme la société devait investir massivement dans la recherche et le développement (R&D) pour mettre au point de nouveaux médicaments qui pourraient connaître ou non du succès, le rendement du capital investi était trop faible pour un fabricant de médicaments traditionnel. L’acquisition de médicaments commerciaux lui permettrait de réduire ses activités de R&D et d’accroître rapidement le portefeuille de produits.  

La stratégie a connu un énorme succès. En 2015, Valeant était la société la plus importante de l’indice S&P/TSX Composite, éclipsant la Banque Royale du Canada. Sous la direction de M. Pearson, le cours de l’action de Valeant avait grimpé de plus de 4 000 % et de nombreux investisseurs réputés se sont empressés de joindre les rangs de son actionnariat. La société était admirée pour son alignement avec les actionnaires, elle comptait des centaines de petites sociétés pharmaceutiques à l’échelle mondiale, et 80 % de la rémunération de M. Pearson était liée à des options d’achat d’actions (contre 50 % en moyenne pour un chef de la direction du S&P 500), et ces options pouvaient être acquises de façon exponentielle en fonction du cours de l’action. Si le titre de Valeant affichait un rendement de plus de 60 % chaque année pendant trois ans, le nombre d’options qui seraient acquises serait quatre fois plus élevé que s’il affichait un rendement de seulement 15 % à 29 %. De plus, M. Pearson ne recevrait rien si les rendements annuels étaient inférieurs à 15 %. Valeant a prouvé qu’un alignement excessif n’est pas toujours une bonne chose. Dans ce cas, la rémunération en fonction du prix de l’action était tellement importante que M. Pearson a été incité à être extrêmement audacieux. (En raison des préoccupations concernant la durabilité de sa stratégie de croissance et de sa dépendance à l’égard des capitaux externes plutôt que des flux de trésorerie générés à l’interne pour le financement, Burgundy n’a jamais détenu Valeant.)  

En octobre 2015, à peine deux mois après être devenue la société la plus importante de l’indice S&P/TSX Composite, le titre de Valeant a commencé à reculer. Plusieurs rapports ont fait état de la relation entre Valeant et Philidor, une pharmacie spécialisée qui vendait les médicaments de Valeant. Ces rapports montraient que Valeant contrôlait secrètement Philidor et s’en servait pour augmenter ses ventes. Ces réclamations ont été le point de bascule pour Valeant. En six mois, le cours de l’action a chuté de 90 %, passant de 230 $ à 30 $. De son sommet à son cours actuel, Valeant a perdu 65 G$ en valeur actionnariale5. 

« En octobre 2015, à peine deux mois après être devenue la société la plus importante de l’indice S&P/TSX Composite, le titre de Valeant a commencé à reculer. »

Rapide rythme des acquisitions et surrémunération  

Pendant les huit années de mandat de M. Pearson, Valeant a effectué 120 acquisitions. M. Pearson était fier de conclure des ententes rapidement. En 2013, il a déclaré au Globe and Mail que les vérifications diligentes se faisaient «très rapidement», soulignant que le travail pour une acquisition de 2,6 G$ US a été terminé en seulement 10 jours6. Les revenus sont passés de 757 M$ US en 2008 à 9,7 G$ US en 2016. Pour poursuivre sa croissance, Valeant a dû continuer d’acheter.  

En 2013, la réputation de Valeant d’«acquéreur en série» était largement reconnue par les sociétés pharmaceutiques, qui ont augmenté leurs attentes en conséquence. Lorsque Valeant a fait l’acquisition de Bausch & Lomb en 2013, 95 % du prix d’achat a été comptabilisé dans l’écart d’acquisition, soit le prix d’achat excédentaire par rapport à la juste valeur des actifs acquis. En 2015, Valeant a acheté Salix pour 15,8 G$ US. Un an plus tard, Valeant a tenté en vain de vendre la société pour 10 G$ US. Selon une source de l’entreprise, «M. Pearson aurait payé de six à sept milliards de dollars de trop pour Salix »7. 

Synergies non durables   

Une fois que Valeant faisait l’acquisition d’un fabricant de médicaments, la société réduisait rapidement ses coûts, principalement en sabrant la R&D. Valeant consacrait 3 % de ses revenus à la R&D, contre 15 % à 20 % pour un fabricant de médicaments typique. Même si la preuve de synergies est l’une de nos cinq caractéristiques, celles-ci doivent être durables. La réduction des dépenses en R&D à ce point signifie qu’aucun nouveau médicament ne pouvait être mis au point. Pour maintenir sa croissance, Valeant devait constamment faire des acquisitions.  

Cela signifie également que Valeant a dû tirer le plus de profits possible de ses médicaments avant qu’ils ne deviennent génériques. Valeant l’a fait avec des hausses de prix aveugles et très controversées. En 2015 seulement, la société a augmenté de 66 % le prix de 56 médicaments, ce qui représentait 81 % de son portefeuille8. Les prix avaient plus que quadruplé. Une étude réalisée en 2015 a révélé que, parmi les médicaments dont les prix avaient augmenté de 300 % à 1200 % au cours des deux dernières années, la moitié appartenaient à Valeant9. En revanche, Pfizer a relevé les prix de 51 médicaments de 9 % en moyenne en 2015 et de 15 % au plus10.   

Les soins de santé ont toujours été de nature politique, et il n’a pas fallu longtemps avant que les stratégies de prix de Valeant ne soient critiquées par Hillary Clinton, Bernie Sanders et d’autres membres du Congrès américain. En octobre 2015, les procureurs américains ont cité l’entreprise à comparaître Valeant lors d’une enquête sur ses stratégies d’établissement des prix et de distribution des médicaments, et la Chambre des représentants ainsi que le Sénat des États-Unis ont procédé à une enquête distincte11.

Lourd endettement 

Valeant s’est en grande partie fondée sur l’endettement pour financer sa stratégie d’acquisition. De 2008 à 2016, la dette est passée de zéro à 30 G$ US, soit 7,2 fois son BAIIA. Cette stratégie de financement n’était pas durable. Comme les médicaments de Valeant ont cessé d’être brevetés et ont fait face à la concurrence des fabricants de médicaments génériques, la société n’avait pas les liquidités nécessaires pour investir dans la R&D afin de créer de nouveaux médicaments ou de procéder à d’autres acquisitions. Valeant a été paralysée.  

CAS N° 2 : LE LOEWEN GROUP  

Le Loewen Group était un regroupement de salons funéraires et de cimetières en Amérique du Nord. En 1979, Raymond Loewen a commencé à remarquer que de nombreux exploitants de salons funéraires vieillissants dans sa ville étaient aux prises avec des problèmes de relève. M. Loewen a reconnu qu’il s’agissait d’une occasion et a commencé à acquérir des salons funéraires partout au Canada, ce qui a permis de mobiliser des capitaux dans le cadre d’un premier appel public à l’épargne (PAPE) en 1986.  

À première vue, Loewen présentait plusieurs des caractéristiques d’une solide F&A. Les secteurs des salons funéraires et des cimetières étaient très fragmentés, 89 % des salons funéraires et 93 % des cimetières en Amérique du Nord appartenant à des familles en 199612. Malgré cela, le Loewen Group a fait faillite en 1999. Le déclin de la société a commencé en 1995, après qu’un jury lui eut ordonné de verser 500 M$ US en dommages-intérêts à un exploitant de salon funéraire qui l’accusait de ne pas avoir respecté une entente d’achat de deux de ses maisons. Bien que le règlement ait finalement été négocié à 165 M$ US, cela a déclenché un effet domino. En 1999, la société avait obtenu la mention de «titre le moins performant de l’année», se négociant à 0,17 $ US, soit une baisse de 93 %. Le cours de l’action de Loewen Group avait atteint un sommet de 55,50 $ US en 199513. 

Rapide rythme des acquisitions et surrémunération  

Après le PAPE en 1986, le Loewen Group prévoyait dépenser 14 M$ US pour des acquisitions en 1987, puis 10 M$ US et 4 M$ US au cours des deux prochaines années14. Toutefois, la société n’a jamais ralenti. Loewen avait 20 salons funéraires en 1985 et 131 en 1989. En seulement un an, ce nombre avait doublé pour atteindre 266 maisons. En cinq ans, cela était presque le quintuple, M. Loewen ayant quitté ses fonctions en 1995 avec 1 115 salons funéraires et 427 cimetières. 

Pour maintenir cette croissance effrénée, Loewen a dû acheter le plus grand nombre de maisons possible le plus rapidement possible. Cette situation a donné lieu à des paiements excessifs, les analystes estimant alors que Loewen payait entre 20 % et 100 % de plus que la juste valeur des propriétés.  

S’éloigner du cœur du métier  

Alors que les investisseurs s’attendaient à des taux de croissance élevés et que les analystes commençaient à parler de l’«âge d’or» du secteur funéraire, Loewen a subi des pressions pour poursuivre la croissance des bénéfices de plus de 30 %. Cela a incité le Loewen Group à s’éloigner de ses activités de base et à commencer à acquérir des cimetières, qui n’étaient pas aussi rentables que les salons funéraires. En 1998, les cimetières représentaient 40 % des revenus, contre 15 % en 1994.   

Synergies et intégration minimales 

Les habitudes d’achat des clients dans les salons funéraires sont différentes de celles de la plupart des secteurs. Les membres de la famille endeuillés se soucient rarement de la marque et cherchent souvent un établissement local. Cette préférence était si forte que certaines maisons acquises par Loewen garderaient le secret de leur nouvel actionnaire. Pour illustrer à quel point ces salons funéraires sont demeurés localisés, lorsque Raymond Loewen a quitté ses fonctions de chef de la direction en 1998, son successeur a découvert 1300entités distinctes lorsqu’il a pris la relève.  

La hausse des prix est allée trop loin  

À l’instar de Valeant, les hausses de prix ont occupé une place importante dans la stratégie d’acquisition de Loewen et ont été l’un des seuls leviers que la société pouvait utiliser pour générer des rendements. Toutefois, Loewen a exagéré ces hausses de prix, profitant de la vulnérabilité des familles endeuillées. Loewen a changé les noms de ses services à faibles coûts pour faire honte aux familles, le cercueil le moins cher ayant été nommé «cercueil de bien-être social» et une crémation ayant été qualifiée de «crémation de base». Cette situation a terni la réputation du salon funéraire et, en 1998, M. Loewen a déclaré que ses établissements offraient 5 % moins de services que l’année précédente. Un expert du secteur l’a expliqué comme suit : «Ils se sont mis trop d’argent dans les poches et poussé le public à ne plus pouvoir supporter cette situation.»15

Dilution et endettement élevés 

Le Loewen Group a émis des actions chaque année de 1988 à 1994, et leur nombre a plus que triplé. Cela signifie que même si le revenu net avait augmenté de plus de 10 fois au cours de cette période, le bénéfice par action n’avait pas suivi le rythme, n’ayant augmenté que de quatre fois. La société s’était aussi fortement endettée, ce qui signifie que ses bénéfices étaient soutenus de façon non durable par un bilan de plus en plus endetté. Au moment de la faillite de Loewen en 1999, sa dette s’élevait à 2,3 G$ US, tandis que son BAII (bénéfice avant intérêts et impôts) n’était que de 117 M$ US en 1998.  

Mise en pratique des critères d’évaluation  

Malgré nos critères d’évaluation bien définis, il faut souvent faire preuve de créativité pour déterminer si une société les possède. Bon nombre des caractéristiques décrites dans ce document ne sont pas facilement observables dans les états financiers d’une société, surtout si l’acquéreur en est à ses débuts. Des facteurs comme une mauvaise fidélisation de la clientèle, des réductions de coûts insoutenables et une mauvaise intégration des systèmes peuvent tous être occultés dans un lot d’acquisitions successives, et ce n’est qu’une fois que les acquisitions ont cessé, et qu’il est trop tard, qu’un mauvais acquéreur se manifeste.  

Chez Burgundy, nos outils de recherche nous permettent d’aller au-delà des états financiers et de discuter avec des clients, d’anciens employés, des experts du secteur et des concurrents. Ces conversations nous aident à compléter notre thèse et, dans de nombreux cas, elles ont révélé des signaux d’alarme que nous n’aurions jamais vus autrement. Nous utilisons également ces conversations pour orienter les discussions avec les équipes de direction, dont bon nombre sont rencontrées à plusieurs reprises avant d’investir. Ce processus nous permet d’évaluer la société en fonction de nos critères et de déterminer si elle constitue une société durable et de grande qualité et, dans le meilleur des cas, une société résiliente.  

 


* Sauf indication contraire, tous les montants en dollars et les références aux rendements sont en dollars canadiens.

1. https://www.inc.com/melissa-schilling/the-top-4-reasons-most-acquisitions-fail.html
2. Le principal responsable de la répartition du capital est la personne chargée de prendre les décisions finales sur la façon d’investir l’argent dont une entreprise dispose pour accroître la valeur de l’exploitation. Bien que cette personne soit souvent le chef de la direction, le chef des finances ou un autre cadre supérieur peut également assurer cette fonction.
3. Remarque : Les placements dans Richards Packaging, VitalHub et Mainstreet Equity sont actuellement détenus dans le fonds d’actions canadiennes à petite capitalisation de Burgundy.
4. Selon les estimations de Richards Packaging
5. En juillet 2018, Valeant Pharmaceuticals a changé de nom pour devenir Bausch Health Companies Inc.
6. https://www.theglobeandmail.com/report-on-business/rob-magazine/how-valeant-became-canadas-hottest-stock/article8889241/?
page=all
7. https://www.theglobeandmail.com/report-on-business/rob-magazine/inside-story-valeant-pharmaceuticals-fall/article34432530/
8. Valeant Pharmaceuticals : Eroded Reputation and Stock Price – Ivey Publishing.
9. https://sevenpillarsinstitute.org/valeant-pharmaceuticals-case/
10. Valeant Pharmaceuticals: Eroded Reputation and Stock Price – Ivey Publishing
11. Valeant Pharmaceuticals: Eroded Reputation and Stock Price – Ivey Publishing
12. Valeurs Mobilières TD, 1996.
13. Même si Burgundy détenait des actions ordinaires de Loewen Group dans le cadre de ses stratégies d’actions canadiennes en 1997, nous avons liquidé nos placements un an plus tard.
14. Billion Dollar Lessons.
15. https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1999-oct-24-fi-25679-story.html

Source : recherches de Burgundy, dossiers d’entreprises, The Atlantic, BBC Ideas.

AVIS DE NON-RESPONSABILITÉ 

Le présent document est présenté à des fins d’illustration et de discussion seulement et ne constitue pas une offre d’investissement dans une stratégie de placement offerte par Burgundy. Il ne vise pas à fournir des conseils de placement et ne tient pas compte d’objectifs, de contraintes ou de besoins financiers particuliers. Certains titres peuvent être utilisés comme exemples pour illustrer la philosophie de placement de Burgundy. Les portefeuilles de Burgundy peuvent détenir ou non de tels titres pendant toute la période indiquée. Les rendements de certains titres ne représentent pas les rendements d’un quelconque portefeuille de Burgundy. De plus, les placements décrits ici ne représentent pas tous les titres achetés, vendus ou recommandés à nos clients à titre de services-conseils. Veuillez noter que les renseignements contenus dans le présent document n’impliquent pas de rentabilité, que le rendement passé ne garantit pas les résultats futurs, et que cette communication n’indique pas la pondération moyenne des placements au cours de la période d’évaluation ni la contribution de ces placements au rendement d’un compte représentatif. Une liste complète des titres est disponible sur demande. Les investisseurs sont avisés que les placements ne sont pas garantis, que leur valeur fluctue souvent et que le rendement passé n’est pas garant de leur rendement futur. Les renseignements contenus dans le présent document sont l’opinion de Gestion d’actifs Burgundy et/ou de ses employés à la date de publication et peuvent changer sans préavis. Les placements sur les marchés étrangers peuvent comporter certains risques liés aux taux d’intérêt, aux taux de change et aux conditions économiques et politiques. De temps à autre, les marchés peuvent connaître une forte volatilité ou des irrégularités prononcées, de sorte que les rendements peuvent diverger des événements historiques. En aucun cas, les commentaires fournis ne donnent à penser que vous devriez anticiper le marché de quelque façon que ce soit. Les investisseurs devraient obtenir des conseils financiers sur la pertinence d’investir dans des marchés, des titres ou des instruments financiers précis avant de mettre en œuvre les stratégies de placement dont il a été question. Ce contenu ne doit pas être distribué sans le consentement de Burgundy. Pour en savoir plus, veuillez consulter https://www.burgundyasset.com/fr/mention-juridique/.