“Il est 6 h 30 et je consulte ma boîte de courriels pour la première fois. Il est tôt, mais c’est la saison où la plupart des sociétés publiques publient leurs résultats et où les participants au marché sont sur la corde raide. La première chose que je vois dans ma boîte de courriels est un communiqué de presse d’une société que j’ai recommandée à mon gestionnaire de portefeuille. Je l’ouvre et je commence à le lire. Il s’agit des résultats du troisième trimestre de la société. Je parcours le rapport, repère le tableau des principales données financières et je commence à étudier les chiffres. Quelque chose ne va pas.

Les résultats sont lamentables. Les ventes sont en baisse et les profits se sont évaporés. J’examine le texte du communiqué de presse plus attentivement. La principale usine de fabrication de la société semble avoir éprouvé des problèmes d’exploitation (roulement du personnel élevé et difficulté à obtenir des matières premières), ce qui a freiné la production et entraîné une augmentation des coûts. Je me dis que ça augure mal.

Trois heures plus tard, la Bourse de Toronto ouvre. L’action de la société commence à se négocier en baisse de 30 %. J’ai un nœud à l’estomac. Comment ai-je pu faire une erreur aussi grave? Toutes mes lectures m’ont porté à croire qu’il s’agissait d’une bonne société. J’ai fait des mois de recherches et je n’ai rien lu au sujet de ces risques d’exploitation. Mon téléphone sonne. C’est mon gestionnaire de portefeuille, qui m’appelle pour savoir ce qui s’est passé. J’ai un moment d’hésitation puis je décroche.”


Cette histoire semblera sans doute familière aux analystes expérimentés. Les débutants vivent habituellement ce type d’expérience au cours de leurs premières années dans le domaine des placements : une recommandation de placement tourne mal en raison d’un problème inattendu. Ils n’ont pas pu prévoir le problème parce qu’il n’en a jamais été question dans les rapports financiers publiés ou les rapports de recherche, ou lors des rencontres avec l’équipe de direction. Cette situation malheureuse fait ressortir deux défis auxquels les investisseurs font face.

Le premier défi provient de l’intérieur. Les investisseurs ont des biais comportementaux personnels. Le biais de confirmation en est un particulièrement néfaste, car il pousse les investisseurs à rechercher des informations qui confirment leur pensée tout en écartant celles qui l’infirment. Plus un investisseur consacre de temps à ses recherches sur une société, plus la recherche d’informations confirmant son biais s’intensifie.

Le deuxième défi provient de l’extérieur. Le marché financier a été conçu de façon à inciter les investisseurs à acheter. Les sociétés veulent des capitaux; les équipes de direction veulent des cours plus élevés pour leurs options d’achat d’actions; les courtiers veulent des revenus de négociation; et les banquiers veulent des frais d’émission. Par conséquent, toutes les informations que les participants au marché financier présentent aux investisseurs, sous forme de rapports annuels, de présentations aux investisseurs ou de rapports de recherche, entre autres, brossent un tableau optimiste. En somme, les marchés financiers fournissent les informations que le biais de confirmation de l’investisseur désire. Les lois sur les valeurs mobilières exigent une analyse des risques, mais les informations présentées à ce sujet sont souvent superficielles. Les vrais risques associés à un placement sont habituellement cachés, ce qui exige de la part des investisseurs une chasse aux informations infirmant leurs biais pour obtenir un portrait équilibré du risque.

Les investisseurs utilisent différentes stratégies pour surmonter ce défi. J’aime remplir une liste de contrôle avant d’investir dans une nouvelle société. Le fait de me reporter à une liste m’aide à découvrir des risques cachés en me forçant à rechercher systématiquement des informations infirmant mes biais. Bien que la liste de contrôle ne garantisse pas le succès d’un placement, elle aide bel et bien à faire contrepoids à la vision optimiste présentée par le marché financier.

Je présente ci-dessous des exemples d’éléments figurant sur ma liste de contrôle. La liste de contrôle que j’utilise est plus longue (et comporte des étapes plus fastidieuses), mais j’espère que ces exemples vous donneront une idée de la façon dont ma liste m’aide à élargir mon champ de vision sur le risque de placement.

1) Évaluer l’intégrité, les primes d’intéressement et l’harmonisation des intérêts de la direction :

  • Vérifiez l’historique de négociation personnel des membres de la direction. J’ai souvent entendu des récits idylliques de la part de chefs de la direction, pour me rendre compte après coup qu’il ou elle vend les actions de la société.
  • Parlez à quelqu’un qui connaît l’équipe de direction. J’arrive parfois à discuter avec d’anciens employés ou d’autres personnes du milieu des affaires qui peuvent se prononcer sur l’intégrité de la direction. À l’occasion, des banquiers et des courtiers vont même m’en faire part s’ils pensent qu’une équipe de direction fait des promesses trop audacieuses au milieu des placements.
  • Lisez la rubrique sur la rémunération de la direction dans la circulaire d’information. Il est fréquent que les équipes de direction mentionnent le rendement du capital investi pour la forme, mais que seule une fraction de leur rémunération soit liée à cette mesure. Je suis souvent déçu lorsque, en lisant cette section de la circulaire, je découvre que des incitatifs sont liés à la croissance du chiffre d’affaires en dollars absolus ou, pire encore, au bénéfice net ajusté alors que l’ajustement est établi au gré de l’équipe de direction.

2) Étudier l’historique des résultats financiers et d’exploitation de la société, en portant une attention particulière aux éléments suivants :

  • La dépréciation de la survaleur et les frais de restructuration, qui peuvent être des indicateurs de mauvaises décisions de répartition du capital;
  • Un faible taux de conversion du revenu en flux de trésorerie, qui peut signaler une comptabilité agressive;
  • Des fluctuations des produits des activités ordinaires et des marges, qui donnent des indices sur la nature cyclique et la structure des coûts de l’entreprise;
  • Les exercices 2007 à 2009, qui illustrent les résultats de l’entreprise dans une économie difficile. Pour cette étape, je lis les rapports annuels de 2007 à 2009 afin de me mettre dans la peau d’un investisseur traversant la crise financière avec la société.

3) Analyser la concurrence et les pairs :

  • Recherchez des exemples de sociétés qui ont échoué. Je trouve parfois des sociétés de marchés similaires (habituellement aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Australie) dont les modèles d’affaires se rapprochent de celui de la société que j’étudie au Canada. Si je trouve une société comparable qui a échoué, je peux habituellement m’en servir pour comprendre ce qui peut mal tourner.
  • Recherchez des concurrents directs dont les marges sont meilleures. Si un concurrent affiche de meilleures marges bénéficiaires, il doit jouir d’un plus grand pouvoir de fixation des prix, d’une plus grande taille ou d’une exploitation plus efficace. Dans tous les cas, cela signifie probablement que la société sur laquelle je fais des recherches n’est pas la meilleure société de son secteur.

4) Créer un modèle financier flexible et l’utiliser pour :

  • Soumettre l’entreprise à une simulation de crise; faire une estimation éclairée de la répartition des coûts variables et des coûts fixes de l’entreprise, en vous fondant sur les notes des états financiers et sur les commentaires de l’équipe de direction; appliquer une baisse des produits en fonction des résultats de l’entreprise au cours de cycles antérieurs et mesurer la baisse du revenu, sous forme de pourcentage, dans la simulation de crise.
  • Déduire les hypothèses prises en compte par le marché. Prenez le cours de l’action actuel et utilisez le modèle pour déduire les hypothèses du marché quant à la croissance des revenus et du bénéfice. Cette modélisation inversée nous aide à éviter les bulles causées par un excès d’optimisme de la part des investisseurs.

5) Demander à un collègue de se faire l’avocat du diable

  • Je demande à un membre de mon équipe de porter un regard neuf sur la société et d’essayer de déceler ses failles. Cette personne ne connaît pas le dossier aussi bien que les autres membres de l’équipe et est donc moins susceptible d’avoir un biais de confirmation. Bref, son engagement personnel envers la société est moindre. Je suis toujours surpris de constater que les avocats du diable détectent systématiquement de nouveaux risques de placement.

Il n’existe pas de règles strictes permettant de prévoir l’imprévu, mais il y a des façons de mieux prédire les écueils que recèlent les placements. Cette liste de contrôle me rappelle de faire la part des choses dans les situations où je pourrais être porté vers l’optimisme ou le scepticisme.

 


Source de l’image : 5 Common Mental Errors That Sway You From Making Good Decisions, par James Clear