Dans la foulée des tarifs de la « Journée de la libération » annoncés par le président Trump, Richard Rooney, cofondateur de Burgundy, tente de faire le tri dans les décombres. Il examine les risques économiques, les répercussions mondiales et les dommages à long terme sur la crédibilité des États-Unis.


Rarement a-t-on vu une annonce de politique publique avoir des conséquences aussi négatives et immédiates que la révélation, par M. Trump, de ses tarifs du « Jour de la Libération ». Le solipsisme qui définit Donald Trump était ainsi étendu à toute la politique étrangère et commerciale d’une nation, avec l’idée que le reste du monde s’y plierait sans broncher.

Or, il s’avère que la communauté internationale n’a aucune intention de l’accepter. Le système commercial et économique actuel — imparfait, certes, et en besoin criant de réformes — bénéficie néanmoins d’un grand nombre de défenseurs qui entendent riposter contre ces nouveaux tarifs américains expéditifs, simplistes et imprudents.

Ces tarifs émanent d’une opacité quasi totale en matière de politique publique. Selon l’interlocuteur que l’on interroge au sein du régime Trump, ils seraient soit un moyen de financement permanent pour l’État, soit un outil de réindustrialisation du pays, soit encore une manœuvre de négociation visant de meilleurs accords commerciaux. Nulle convergence de vues, donc aucune indication claire de leur durée ou de leur champ d’application.

Lesdits tarifs constituent un levier idéal pour l’exploitation des ressentiments, un art où le président Trump excelle. Visiblement, plutôt que d’avoir dominé le monde comme un colosse ces quatre-vingts dernières années, l’Amérique aurait, selon lui, plus tenu le rôle de Lennie dans Des souris et des hommes : un grand gaillard un peu niais, profondément gentil, mais aisément exploité, dupé et manipulé par des Européens retors, des Asiatiques rusés et même des Canadiens cupides.

Cela dit, les États-Unis ont bel et bien des raisons légitimes de sommer leurs alliés de prendre davantage leurs responsabilités. Il est vrai qu’ils ont assumé, durant des décennies, une part disproportionnée du fardeau mondial, et qu’à l’heure où la Chine émerge comme un concurrent quasi égal, les alliés se doivent de renforcer leurs propres défenses plutôt que de compter sur le large bouclier américain. Notre propre pays, d’ailleurs, n’est pas exempt de reproches.

Le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar a produit un effet pervers : la demande quasi garantie pour le billet vert et la force de cette devise constituent un obstacle permanent pour les exportateurs américains, tout en stimulant les importations. Le déficit commercial qui s’ensuit est devenu pour ainsi dire structurel, au bénéfice de pays tels que le Mexique, la Chine ou le Vietnam, qui ont façonné leur économie autour de l’accès au marché américain. De nombreuses régions des États-Unis ont été dévastées lorsqu’une classe dirigeante impitoyable y a délocalisé la production vers ces pays, à la recherche de profits plus élevés.

Des politiques étaient déjà en place pour remédier à certains de ces enjeux. La plupart des membres de l’OTAN avaient commencé à augmenter leurs dépenses de défense après l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Par ailleurs, la relocalisation des chaînes d’approvisionnement, initiée par la prise de conscience de leur vulnérabilité lors des confinements pandémiques, était déjà en cours sans que les échanges commerciaux n’en soient perturbés. Le régime tarifaire mis en œuvre par la première administration Trump était par ailleurs resté largement intact sous le président Biden. Sans doute eût-il été possible d’aller plus loin, avec prudence, pour encourager ces tendances sans trop de casse.

Le « Jour de la Libération » ne relève en rien de cette approche : c’est un acte d’automutilation aussi absurde que dévastateur. Il aura pour effet d’alimenter la stagflation : faire grimper les prix tout en ralentissant l’activité économique. Il engendrera d’importantes distorsions dans l’économie mondiale. Il se pourrait même qu’il ne soit jamais pleinement appliqué.

Dans un monde où un homme impulsif dicte pour l’essentiel l’agenda, toute prévision n’est que pure spéculation. Permettez-moi donc de livrer la mienne.

La plupart des tarifs aberrants annoncés le 2 avril seront annulés ou fortement réduits après que les pays concernés auront passé des coups de fil ou tenu des rencontres avec Trump ou ses plus hauts conseillers. L’équipe de Trump proclamera avoir obtenu des concessions « gigantesques » et « incroyables » de la part de tous, affirmant que l’Amérique a remporté une victoire grandiose. Mais chacun devra se plier au rituel consistant à s’incliner devant Donald Trump.

Je m’attends à ce que le tarif général de 10 % sur l’ensemble des importations demeure, accompagné de divers tarifs sectoriels.

Ces tarifs n’ont pas existé assez longtemps pour infliger d’importants dégâts économiques. Les dommages se situent surtout dans le domaine des anticipations — au premier chef sur les marchés boursiers mondiaux. Nous sommes soulagés de voir la solidité des portefeuilles de Burgundy face aux récents chocs, et nous pensons que cette résilience perdurera. Néanmoins, la révélation d’un tel risque politique venue d’Amérique continuera de peser sur les marchés à long terme.

Ce qui compte vraiment, c’est le tort durable causé à la position de l’Amérique sur la scène internationale. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis avaient été un hégémon magnanime, utilisant leur immense puissance avec retenue et discernement.

Or tout cela a volé en éclats. J’ai un faible Shakespeare, alors je vous offre une citation, prononcée par Isabelle dans Mesure pour Mesure:

« Oh! il est beau d’avoir la force d’un géant; mais c’est une tyrannie d’en user comme un géant.»

 


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